APPEL À TEXTE - CALL FOR PAPERS
EXTRACTIVISME ESTHÉTIQUE
AESTHETICS EXTRACTIVISM
Masimba Hwati - "Untitle" - Photographie - Collection de l'artiste - 2020
APPEL À TEXTE
FRANÇAIS
L’extractivisme esthétique est un concept structurant permettant de regrouper des questionnements d’allure aussi disparates que l’appropriation culturelle, la colonialité du savoir, l’exotisation, l’orientalisme, la subalternisation ou encore la sous-représentativité (diversité). S’il s’est imposé à notre groupe de recherche comme une évidence, à notre grande surprise, il n’avait d’existence qu’au sein de celui-ci. Lors du lancement de Biennale Af-flux dédié à l’apport des artistes noires au monde de l’art contemporain, nous avons pu constater que ce concept, malgré sa richesse, demeurait peu usité par la recherche postcoloniale et décoloniale.
L’extractivisme désigne l’exploitation massive de la biosphère par des moyens industriels. Cet acte de prédation des ressources naturelles, laisse exsangues les espaces naturels et géopolitiques. Ce corollaire bien connu du capitalisme extrait des matières premières, des minéraux, des organismes vivants, ainsi que des ressources énergétiques sans aucun égard pour les environnements sociaux et naturels. Cette notion qui articule l’activité de prédation et l’uniformisation de besoins désormais globalisés se retrouve avec force dans les structures de partage du savoir et l’art. La chercheuse Élisa Prosperetti, par l’exemple du Ghana et de la Côte d’Ivoire, souligne une industrie de la connaissance globalisée qui répond de logiques prévues pour l’espace occidental. En conséquence, les savoirs formés par les chercheurs africains (artistes et historiens d’art compris) sont détenus par le Nord et ses circuits universitaires prestigieux. L’un des problèmes patents du système (et selon ses mots) est que les chercheurs africains doivent être pourvus de « fonds, de temps et d’un passeport “acceptable” par les pays du Nord ».
Dans l’enseignement des arts et leurs pratiques, l’extractivisme esthétique s’avère être une réponse à l’industrialisation qui débute dès le XVIIIeme siècle. Ce n’est en rien un hasard si en corollaire se développe des mouvements tels que, l’orientalisme, les chinoiseries, le japonisme ou encore l’art nègre, etc. Ces outillages théoriques et artistiques permettent de forer avec intensité les cultures de manière spécifique afin d’en extraire un matériel esthétique de manière continue. Il s’agit ainsi de s’emparer de tous les codes des cultures, de toutes les oeuvres du patrimoine mondial et de les faire fonctionner ensemble ; en un mot de faire appropriation culturelle depuis un lieu d’énonciation hégémonique. En effet, il y a une différence substantielle entre se laisser influencer, se laisser porter par la polysémie du monde et « s’emparer » des codes des cultures du monde.
De manière plus matérielle, Felwine Saar et Bénédicte Savoy (2018) indiquent que les systèmes législatifs de pays comme la France ou la Belgique ont accompagné le pillage de ressources esthétiques. Ces auteurs rappellent que l’essentiel du patrimoine artistique africain (80 à 85%) serait hors du continent et disséminés dans tout l’Occident (partagé entre les collections privées et celles des musées). Plus encore, si l’extractivisme esthétique tel qu’énoncé permet de mieux comprendre la question de l’appropriation culturelle, le jeu de l’exotisation et articule des relations plus subtiles qui ont des conséquences directes sur les artistes. En 2020, le commissaire et critique d’art Simon Njami lors d’une interview sur TV5 à propos du mythique magazine, Revue Noire, évoquait le fait que des siècles d’appropriation culturelle, d’exotisation et de subalternisation ont fait des artistes africains de corps «aphones» tout comme l’ont été les artistes d’autres continents (dont les autochtones du Canada), « ils ont été objectifiés, on en parle, ils sont parlés, mais personne n’écoute ce qu’ils ont à dire » . Il nous rappelle encore qu’il y a peu (les années 1990) des espaces comme la Biennale de Venise ou la documenta de Kassel n’avaient jamais reçu d’artistes africains de toute leur histoire. Si les temps changent, l’extractivisme esthétique revêt des formes toujours plus nouvelles et toujours plus difficiles à percevoir.
E. Prosperiti (2018) Education au Ghana et en Côte d’Ivoire. Liberation. Consulté à l’adresse en ligne : https://www.liberation.fr/debats/2018/12/26/ education-au-ghana-et-en-cote-d-ivoire_1816697
Simon Njami, 2020, L’invité. Video consultée à l’adresse en ligne : https:// www.youtube.com/watch?v=JUx6H3W1Coo
F. Sarr, B.Savoy (2018) Restituer le patrimoine africain, Philippe Rey, Seuil
CALL FOR PAPERS
ENGLISH
Aesthetics extractivism is a structuring concept making it possible to bring together questionings of a look as disparate as cultural appropriation, the coloniality of knowledge, exoticization, orientalism, subalternization or even under-representativity (diversity). If it imposed itself on our research group as obvious, to our great surprise, it only existed within it. During the launch of Af-flux: biennale transnationale noire, dedicated to the contribution of black artists to the world of contemporary art, we were able to observe that this concept, despite its richness, remained unusual in postcolonial and decolonial research.
Extractivism refers to the massive exploitation of the biosphere by industrial means. This act of predation of natural resources leaves natural and geopolitical spaces bloodless. This well-known corollary of capitalism extracts raw materials, minerals, living organisms, as well as energy resources without any regard for social and natural environments. This notion, which articulates the activity of predation and the standardization of now globalized needs, is strongly found in the structures of sharing knowledge and art. The researcher Élisa Prosperetti, by the example of Ghana and Côte d’Ivoire, underlines a globalized knowledge industry that responds to logics planned for the Western space. Consequently, the knowledge formed by African researchers (including artists and art historians) is held by the North and its prestigious university circuits. One of the obvious problems with the system (and in his words) is that African researchers must be provided with “funds, time and a passport ‘acceptable’ by the countries of the North”.
In the teaching of the arts and their practices, aesthetics extractivism turns out to be a response to the industrialization that began in the 18th century. It is by no means a coincidence that, as a corollary, movements such as orientalism, chinoiseries, Japonism or even black art, etc., develop. These theoretical and artistic tools make it possible to intensely drill cultures in a specific way in order to extract an aesthetic material in a continuous way. It is thus a question of seizing all the cultural codes, of all the works of the world heritage, and of making them work together; in a word, to make cultural appropriation from a place of hegemonic enunciation. Indeed, there is a substantial difference between letting oneself be influenced, letting oneself be carried away by the polysemy of the world and “taking hold” of the codes of the cultures of the world.
In a more material way, Felwine Saar and Bénédicte Savoy (2018) indicate that the legislative systems of countries such as France or Belgium have accompanied the looting of aesthetic resources. These authors recall that most of the African artistic heritage (80 to 85%) would be outside the continent and scattered throughout the West (shared between private collections and those of museums). Moreover, if aesthetics extractivism as stated makes it possible to better understand the question of cultural appropriation, the game of exoticization articulates more subtle relationships that have direct consequences on artists. In 2020, curator and art critic Simon Njami during an interview on TV5 about the mythical magazine, Revue Noire, evoked the fact that centuries of cultural appropriation, exoticization and subalternization have made African artists of “voiceless” bodies, just like artists from other continents (including the natives of Canada), “they have been objectified, we talk about them, they are spoken about, but no one listens to what they have to say”. He still reminds us that not long ago (the 1990s) spaces like the Venice Biennale or the documenta in Kassel had never received African artists in their entire history. If times change, aesthetics extractivism takes on ever newer and ever more difficult to perceive forms.
E. Prosperiti (2018) Education in Ghana and Côte d'Ivoire. Liberation. Retrieved from online: https://www.liberation.fr/debats/2018/12/26/ education-au-ghana-and-in-cote-d-ivoire_1816697
Simon Njami, 2020, The Guest. Video accessed at: https:// www.youtube.com/watch?v=JUx6H3W1Coo
F. Sarr, B.Savoy (2018) Restituer le patrimoine africain, Philippe Rey, Seuil